Lancement d’une cohorte exceptionnelle
Ce sont environ 50 000 patients dans le Nord et le Pas-de-Calais, et probablement plus d’un demi-million en France. Au quotidien, ils subissent les nombreuses complications de maladies au long cours, souvent diagnostiquées alors qu’ils avaient la vie devant eux : douleurs, handicaps, effets secondaires de leurs traitements, et nombreux impacts sur leur vie professionnelle. De prime abord, leurs maladies semblent bien différentes. Elles affectent l’appareil digestif, le système nerveux, la peau, les poumons ou encore les articulations.
Appelées maladies inflammatoires et dysimmunitaires, elles ont toutes en commun une hyperactivité du système de défense de l’organisme, qui se retourne, en quelque sorte, contre ce dernier. « De plus en plus, indique David Launay, spécialiste de médecine interne et membre de l’institut de recherche translationnelle sur l’inflammation (Infinite¹), nous nous apercevons que ces différentes pathologies obéissent à des mécanismes biologiques communs. » Plusieurs équipes ont ainsi identifié des traitements agissant sur plusieurs de ces pathologies, comme par exemple les thérapies « anti-JAK », qui s’avèrent efficaces à la fois sur la polyarthrite rhumatoïde, la rectocolite hémorragique, et le lupus ou d’autres rhumatismes inflammatoires.
Une mine d'informations pour les recherches futures
Voilà pourquoi le projet fédératif hospitalo-universitaire (FHU) Imminent (maladies inflammatoires et thérapies ciblées), financé par le CHU et l’Université de Lille, a pour but de suivre ensemble des patients atteints de ces différentes pathologies, pendant de nombreuses années. Cette « cohorte » comme l’appellent les médecins, vient d’inclure fin juillet son premier patient.
L’enjeu : réaliser un portrait-robot extrêmement précis, année après année, de ces milliers de patients. « Aujourd’hui, la révolution vers la médecine de précision est en marche, explique David Launay, également co-directeur recherche et soin du FHU. Nous ne pouvons plus nous contenter de définir le patient uniquement par sa pathologie, et de déplorer qu’il résiste à tel ou tel traitement. Pour le soigner au mieux, nous avons besoin désormais de le cerner par tout un ensemble de caractéristiques ». Non seulement ses symptômes, mais aussi l’environnement dans lequel il est plongé, ainsi qu’un grand nombre de propriétés biologiques : ses gènes et comment ceux-ci sont exprimés et régulés dans l’organisme, ses protéines, les substances issues du métabolisme (métabolites)… c’est-à-dire ce que décrit « l’omique », terme regroupant différentes disciplines finissant par ce suffixe − génomique, transcriptomique, protéomique, métabolomique…
C’est ce que va collecter cette cohorte : en plus de la description clinique précise par les équipes médicales, elle va conserver pour chaque patient, chaque année, des échantillons biologiques (liquides dérivés du sang − sérum, plasma −, cellules, etc.), constituant une vaste « biobanque » de données pour la médecine d’aujourd’hui et de demain. C’est l’association entre les deux, pour un grand nombre de maladies inflammatoires, qui rend cette cohorte exceptionnelle. Cela permettra d’y repérer des groupes homogènes de patients, qui auront de grandes chances de partager des mécanismes biologiques communs, et donc probablement des traitements similaires. Différentes équipes des laboratoires lillois membres du projet vont ainsi se pencher sur ces données, qu’ils soient biologistes, médecins spécialistes de ces pathologies ou encore psychologues et économistes, qui évalueront au jour le jour le retentissement sur la qualité de vie des patients et l’impact économique de ces pathologies.
Trois ans de préparation
« Ce genre de cohortes, tout le monde en parle, mais en fait très peu sont réellement mises en place, souligne David Launay. Parce que c’est extrêmement difficile de suivre autant de pathologies en même temps. » D’abord parce que toute collecte de données médicales est fortement encadrée : il faut obtenir l’autorisation de nombreuses instances − comités de protection des personnes (CPP), CNIL, etc. Ensuite parce qu’il faut établir des normes : s’entendre précisément, dans tous les services où sont suivis ces patients, sur les indicateurs qui permettront de les décrire de manière identique. Puis mettre en place, malgré les différentes pratiques de travail, une même collecte d’information systématique et régulière.
Un immense défi logistique, qui explique pourquoi d’habitude, les cohortes sont en fait souvent rétrospectives : elles analysent après coup les situations des patients de telle ou telle pathologie, en récupérant les informations dans les courriers des patients. Les données collectées de cette manière sont en général moins fiables et incomplètes. Pour éviter ce genre d’écueil, « le personnel médical va rentrer ses observations en temps réel dès l’examen du patient dans des “cahiers d’observation électroniques” (eCRF), indique David Launay, qui transmettront automatiquement ces données à notre base. »
Après trois ans de préparation et de collaboration au sein du FHU entre les services cliniques, les unités de recherche et les services d’appui à la recherche du CHU et de l’université, la machine est donc désormais lancée. L’inclusion de milliers de patients, plus ou moins rapide selon les pathologies, se prolongera probablement encore quelques années. Ensuite ? L’observation devrait durer « au moins dix ans », mais probablement bien plus, de telles cohortes conservant des données extrêmement précieuses pour les questions que se pose la recherche aujourd’hui… et celles qui émergeront demain.