À la poursuite des livres migrateurs
C'est le printemps, et en ce premier lundi des vacances, la bibliothèque provisoire brille au soleil. L'ancien préfabriqué et son parking du campus Pont-de-Bois à Villeneuve d’Ascq ont été complètement réaménagés, avec des petits arbustes et des plantes, mais aussi des bancs pour se délasser pendant les pauses, ainsi que des parasols/parapluies pour s'abriter. À l'intérieur, les murs et les rayonnages refaits à neuf vont tenter de faire oublier aux étudiants la fermeture de l'iconique « BU SHS » (sciences humaines et sociales) qui connaît sa grande rénovation et sera livrée complètement transformée en 2026.
Les travaux de rénovation de la bibliothèque battent leur plein
C'est peu dire que cette rénovation était attendue. « Je suis arrivé la bibliothèque en 1993, raconte Jean-Marc Wallaert, ancien magasinier devenu responsable du suivi des collections, et deux ans plus tard, a été lancé un premier projet de rénovation, alors que la bibliothèque n'était âgée que de 20 ans ! » Mais le chantier, colossal − transformation, désamiantage, rénovation énergétique… sur plus de 17 000 m² − n'a pu se faire qu'en réunissant les financements nécessaires avec l’État, la région Hauts-de-France et la métropole européenne de Lille.
Il a alors fallu organiser la vie sans l’énorme bâtiment, cœur battant du campus. D'abord, trouver où stocker les 18 km-linéaires d'ouvrages conservés dans l'ancien magasin de stockage ou « silo » de la BU, soit environ 650 000 ouvrages et périodiques. Louer un hangar ou un entrepôt aurait demandé un aménagement complet et coûteux, et n'aurait pas permis de garantir les conditions de température et d'hygrométrie nécessaires à la bonne conservation des livres. Le choix s'est porté sur l'ancien silo de conservation des archives départementales de l'Aisne à Laon, alors récemment libéré, qui disposait de tout l’aménagement nécessaire.
« Mais désormais, que se passe-t-il quand un usager demande un livre ? » C'est ce qu'est venue découvrir Maya Hoffman, jeune étudiante d'une formation inédite en France, qui marie l’étude des sciences de l'Antiquité à celles de l'information et du document➊. Passionnée par le métier de bibliothécaire, Maya saisit ainsi l'occasion d'en découvrir un peu mieux les arcanes.
Pour l'heure, il s'agit de demander un livre dans le catalogue, de la BU provisoire, depuis un des ordinateurs. Ce sera Jane Eyre, le classique de l’écrivaine anglaise du XIXe siècle Charlotte Brontë. Maya le cherche dans le catalogue, et en quelques clics envoie sa demande. Quelques mètres plus loin, dans les bureaux de la bibliothèque, celle-ci est imprimée et ajoutée à celles des jours précédents : 110 au total (en général 150 à 160 pour les périodes plus chargées).
Benoît et Olivier chargent dans la navette les caisses de livres qui retournent à Laon. Les navettes partent les lundis et les mercredis.
Toutes les demandes arrivent alors entre les mains d’Olivier et Benoît, chargés ce matin-là d’aller à Laon. Au départ du campus, ils les classent scrupuleusement selon les magasins, c'est-à-dire les différentes sections du bâtiment. Ils les embarquent et chargent des caisses noires empilables contenant les livres qui retournent à Laon. Une grosse journée de manutention les attendant, ils font bien attention à protéger leur dos. « Benoît et moi, on a notre méthode, lance Olivier. On soulève ensemble chacune des caisses » pour les poser sur le plateau mobile du coffre du véhicule. « Elles ont toutes un repère, pour éviter de trop les charger », ajoute Jean-Marc Wallaert.
« L’énorme parallélépipède de béton en impose, avec ses six étages et douze magasins. »
Vue de l'ancien silo des archives de l'Aisne qui accueille les collections de la BU SHS (small>Archives départementales de l’Aisne).
Benoît et Olivier chargent dans la navette les caisses de livres qui retournent à Laon. Les navettes partent les lundis et les mercredis. 1h40 de route plus tard − en fait pas loin de 2h en comptant le déchargement −, ils arrivent à Laon. L’énorme parallélépipède de béton en impose, avec ses six étages et douze magasins de livres. À l’intérieur, c’est le silence. Personne d’autre que Benoît et Olivier, qui s’empressent de préclasser les livres à remettre en rayon. Leur seule hantise ? Être coincé dans l'ascenseur ! « Le technicien arrive très vite », rassure Jean-Marc Wallaert. L'après-midi, ils se dépêchent de remettre en rayonnage les livres qui reviennent, et de trouver ceux qui repartent. Puis c’est le retour. « C’est fatiguant, reconnaît Benoît, mais on aime bien cette parenthèse, la route à travers les champs en arrivant à Laon. Et avec Olivier, on s’entend bien, le trajet nous permet de vraiment discuter. »
« Mais est-ce que la situation avec la bibliothèque provisoire ne rend-elle pas un peu plus compliqué votre travail ? » s’interroge Maya. « Bien sûr, répond Jean-Marc Wallaert, la distance rend tout plus complexe ». Par exemple, pour gagner de la place afin de mettre plus de livres par étagère, ils essaient actuellement de regrouper les grands formats. Ce qui nécessite de les rassembler et de modifier leur cote, d’où pas mal d'allers-retours avec Laon. « Mais les personnels aiment bien la bibliothèque provisoire, reprend Jean-Marc Wallaert, ils la trouvent en général plus conviviale et chaleureuse que l'ancien bâtiment. »
« Et le déménagement, demande Maya, comment cela s'est-il passé ? » Il a d'abord fallu de longs mois de préparation. Puis le déménagement proprement dit, une fourmilière incessante avec un ou deux camions partant chaque jour pour Laon, pendant sept à huit semaines. L'organisation préparée par l'équipe est millimétrée, avec un circuit à suivre et des affichettes à toutes les étapes avec les instructions pour l'entreprise de déménagement. « Ils n'ont fait qu'un oubli, se rappelle Jean-Marc Wallaert, d'un ensemble de rayonnages (un "épi"), mais il a fallu réagir très vite : comme ils avançaient rapidement et rangeaient les livres à la suite dans l’ordre des cotes, ils risquaient d’avoir à tout décaler. »
Pendant le déménagement, aucun ouvrage n’a été indisponible plus de deux jours. »
Jean-Marc Wallaert,
responsable du suivi des collections.
Pendant cette période intense, le prêt de livres n’a jamais été interrompu. « Aucun ouvrage n’était indisponible plus de deux jours », se remémore Jean-Marc Wallaert. Les équipes de la bibliothèque se sont mobilisées pour assurer la continuité de service. La navette avait alors déjà commencé ses allers-retours, et il leur fallait parfois récupérer des ouvrages entre les déménageurs, pour les amener à un lecteur qui en avait besoin.
Le lundi soir, un peu fourbus, Olivier et Benoît ont déposé leur chargement de livres. En général, les équipes les scannent dès l’arrivée, pour que les plus impatients puissent passer les prendre. Jane Eyre est bien là, et Jean-Marc Wallaert scanne le livre en le posant sur une petite plate-forme noire transparente. Et… ça ne marche pas. « Il n’a pas encore de puce RFID », explique-t-il sans se démonter, lui en collant une sur-le-champ puis scannant l’ouvrage. Presque instantanément, Maya reçoit un mail l’informant de la disponibilité du livre. Ne reste plus qu’à le récupérer, et le scanner à son tour pour signaler à la bibliothèque qu’elle l’a bien en main… et ne pas biper à la sortie ! ■
Jean-Marc Wallaert, en train de scanner le livre ramené par la navette (Jane Eyre).
Maya devant les locaux de la BU SHS.
BU SHS
Plus de lumière, une consommation énergétique réduite de 60 %, des lieux pour des expositions, pour la recherche ou l’innovation pédagogique, une cafétéria… : découvrez la future bibliothèque rénovée qui ouvrira en 2026.
Vue d’artiste de l’intérieur de la future bibliothèque, une fois sa rénovation achevée.
➊ La licence Lettres, parcours Humanités sciences de l’information
https://www.univ-lille.fr/formations/fr-00002166