Cancer : croiser les regards
Avec plus de 2000 nouveaux cas chaque année chez les enfants et adolescents, le cancer est la deuxième cause de décès entre 1 et 24 ans. Les principales tumeurs à cet âge touchent le cerveau, contre lesquelles vont se concentrer les forces de plusieurs équipes à Strasbourg, Nancy et Lille, au sein d’un vaste programme de recherche➊.
Celui-ci cherchera à comprendre pourquoi certaines de ces tumeurs résistent aux traitements, afin d’en développer de nouveaux. Il s’appuiera notamment sur l’expertise biologique et médicale à ONCOLille dans ce domaine, notamment au sein de l’équipe de Samuel Meignan, directeur de recherches au centre Oscar Lambret, qui travaille sur des tumeurs agressives et très résistantes aux traitements, comme le gliome infiltrant du tronc cérébral.
Un autre volet du projet, qui mobilise des chercheurs en management et en mathématiques, se penchera sur le parcours du patient, en développant un outil pour aider les équipes soignantes à prendre les meilleures décisions. Par exemple, si elles se demandent si elles doivent transférer un enfant dans telle structure de convalescence ou dans tel parcours de suivi médical, quelle est la probabilité que celui-ci revienne très vite à l’hôpital, ou qu’il guérisse ? Pour cela, il s’agit, en utilisant des modèles mathématiques, de s’appuyer sur les données et le parcours de patients déjà pris en charge. « Analyser ces données de nature très différentes − âge, indice de masse corporelle, analyses biologiques, clichés d’IRM…− représente en soi un défi théorique, explique Sophie Dabo, professeure des universités en mathématiques appliquées. Mais une fois obtenue l’autorisation de les utiliser (ainsi que les parcours de patients-types), nous espérons parvenir à des résultats d’ici deux ans. »
Vivre avec des séquelles
Le projet va aussi travailler sur l’accompagnement psychologique des enfants atteints de cancer et de leurs parents. « Chez l’enfant, explique Kristopher Lamore, titulaire de la chaire de recherche en psycho-oncologie et recherche interventionnelle à l’Université de Lille, la spécificité est que ces cancers se soignent souvent bien mieux que chez l’adulte, mais qu’ils peuvent donner lieu à des séquelles souvent irréversibles : baisse de QI, désordres métaboliques pouvant entraîner une obésité, etc. »
La gravité de certaines séquelles peut être prévenue par un accompagnement à très long terme, mais pour d’autres, il faudra vivre avec. « Nous essayons d’amener les parents à faire le deuil de l’enfant qu’ils ont connu, explique Kristopher Lamore. Car on ne peut pas les laisser croire qu’à la guérison, tout va redevenir comme avant. » Il faut attendre le bon moment, lorsque le traitement s’avère efficace, par exemple, pour commencer à parler de l’après, et du suivi au long cours. Et ne pas non plus attendre trop longtemps, car les parents, qui habitent parfois très loin de l’hôpital, seront peut-être moins assidus si le traitement est un succès.
« Souvent, les adolescents redeviennent complètement dépendants de leurs parents au cours du traitement, arrêtent de voir leurs amis, parce qu’ils sont trop fatigués ou risquent des infections, etc., reprend Kristopher Lamore. Notre travail est de faire en sorte qu’ils continuent de se projeter dans l’avenir à l’issue du traitement, même s’ils ont des séquelles. » Travailler sur leur estime de soi, et leur montrer, ainsi qu’aux parents, tout ce qu’ils sont capables de faire, en ne mettant pas le curseur trop bas en termes d’autonomie. ■
➊ East North-Hematology Oncology PEdiatric − Social sciences, Microenvironment & multiomics Analyses in RadioTherapy resistance For Children Brain Tumors (EN-HOPE SMART4CBT). Natacha Entz-Werlé (Strasbourg) est la porteuse du projet.
Cet article est par dans le magazine Inspirons demain, #4.