Électronique : les promesses du nitrure de gallium
C’est une technologie qui intéresse les militaires mais devrait également bénéficier aux civils. Le nitrure de gallium (GaN), un semi-conducteur encore peu répandu en électronique mais en pleine émergence, pourrait aider les premiers à considérablement améliorer la précision et la compacité des systèmes radars, d’antennes actives ou des systèmes de guerre électronique. Mais il pourrait aussi soutenir le déploiement des futures infrastructures de télécommunication 5G et, entre autres, de couvrir des zones reculées dépourvues de système de communication sans fils.
C’est là tout l’intérêt du financement à hauteur de 1,6 millions d’euros que vient d’annoncer le ministère des Armées au projet GREAT¹ coordonné par un laboratoire de l’université, l’institut d’électronique, de microélectronique et de nanotechnologie (IEMN²). En partenariat avec trois autres laboratoires et deux industriels (voir encadré), le programme va développer des composants électroniques basés sur le nitrure de gallium, suite à d’excellents résultats. En mars 2021 en effet, les résultats de l’équipe ont fait la une d’un des principaux magazines de semi-conducteurs, Compound Semiconductor (CS).
Le nitrure de gallium n’est pas un complet inconnu. Dans les laboratoires, dont l’IEMN, il commence à être étudié à la fin des années 1990. Mais ce sont plus récemment ses performances dans la conversion d’énergie, en tant qu’« interrupteur de puissance », qui suscitent désormais un engouement croissant chez les industriels. Les marchés visés sont en effet très étendus (photovoltaïque, véhicule électrique par exemple). « L’énergie verte est précieuse et ne doit pas être gaspillée, indique le coordinateur du projet, Farid Medjdoub de l’IEMN, l’intérêt des composants basés sur ce semi-conducteur est d’amplifier ou de transmettre des fortes puissances avec le moins de pertes possibles. »
Le futur de la 5G
Pour les réseaux mobiles et plus généralement les télécommunications sans fil, le nitrure de gallium pourrait se révéler incontournable pour l’électronique du futur. Aujourd’hui, des réseaux 5G sont déjà en place, mais ils sont encore très proches des technologies précédentes. Les fréquences utilisées ne dépassent pas en général 6 gigahertz (GHz − il s’agit d’ondes radios qui oscillent quelques milliards de fois par seconde). Dans ces gammes, les composants électroniques nécessaires reposent globalement sur des technologies bien maîtrisées.
Mais la 5G n’est pas figée et elle va évoluer dans le futur, par différentes étapes. Pour permettre de nouveaux usages − objets connectés, interactivité à distance de meilleure qualité, plus rapide et plus fiable, etc. −, il va y avoir un besoin accru en bande passante et en débit afin de désengorger les réseaux et satisfaire les besoins du futur. Pour cela, une montée en fréquence est nécessaire, de l’ordre de plusieurs dizaines de GHz. C’est là que le bât blesse. Car à ces fréquences, les semi-conducteurs habituellement utilisés pour fabriquer les composants (principalement le silicium et l’arséniure de gallium) sont limités. Les transistors basés sur ces matériaux ne délivrent des puissances que de quelques watts. En outre, leur rendement est alors encore plus limité.
Un mille-feuille très fin
D’où l’intérêt du nitrure de gallium qui permet de bénéficier de performances en puissance cinq à dix fois supérieures. C’est ce que viennent de montrer les recherches de l’équipe, atteignant un record de rendement sous forte puissance à 40 GHz. Ils y sont parvenus grâce un transistor de très petite taille : il utilise un empilement de couches extrêmement fines de nitrure de gallium et d’autres alliages, savamment préparées pour éviter l’écueil habituel de ce genre de dispositifs − la tendance des matériaux à piéger les électrons.
Mais un système de petite taille qui transmet une puissance électrique élevée a tendance à chauffer, donc à dissiper de l’énergie. Or les objets connectés sont souvent miniatures, avec peu de place pour des batteries : leurs composants électroniques doivent consommer le moins possible d’énergie, et c’est le cas pour bien d’autres applications. « Nous avons beaucoup travaillé pour optimiser la performance énergétique de ce système », explique Farid Medjdoub.
L’avantage d’un système de petite taille est aussi qu’il est très intéressant dans les dispositifs où le poids est particulièrement compté, comme les satellites ou les antennes, ce qui devrait permettre de déployer plus facilement des réseaux mobiles dans des zones où elles sont habituellement difficiles à implanter. En attendant, le projet GREAT va travailler à fiabiliser et optimiser cette technologie.
¹ High Frequency GaN Electronics
² (Univ. Lille/CNRS/UPHF/Centrale Lille/Junia)
Photo : Kathia Harrouche, doctorante à l’IEMN, tient un des panneaux de semi-conducteurs (« wafer ») sur lesquels sont effectués les mesures. (IEMN)
Un panel varié de partenaires scientifiques et industriels
La technicité de ce genre de projet implique de réunir des compétences à la fois pointues et variées, dans le milieu scientifique comme industriel. L’équipe de l’IEMN conçoit toute la fabrication de ces transistors et en explore les performances de manière très poussée. La qualité des matériaux étant primordiale, ce sont à l’institut Lavoisier de Versailles (ILV), en collaboration avec le centre de nanosciences et de nanotechnologies (C2N), d’en analyser très finement les caractéristiques. Quant à l’institut de recherche de Limoges (XLIM), il permettra de tester les transistors en conditions opérationnelles, au sein de prototypes de composants électroniques.
Partenaire du projet, la société franco-allemande UMS est un fabricant de composants électroniques − une « fonderie ». Elle utilisera pour la fabrication un procédé partagé avec l’IEMN et mis au point par ce dernier. L’autre partenaire est l’une des principales sociétés de micro-électronique en France, SOITEC, qui maîtrise notamment la production industrielle de ces empilements de couches minces de semi-conducteurs.