Les ports face aux événements extrêmes
Avec le changement climatique, les ports sont en première ligne des événements extrêmes : inondations, canicules, vents forts ou tempêtes. Or, ils sont le poumon économique des territoires : s’ils s’arrêtent, les approvisionnements s’interrompent, avec un coût financier considérable. Parvenir à les faire fonctionner en mode dégradé, à 80 % de leur capacité, pendant ces épisodes, est l’objectif d’un projet ambitieux, « Safari », qui vient de débuter. Financé par l’Union européenne➊, le projet, coordonné par l’Université de Lille, compte 25 partenaires parmi lesquels l’un des leaders mondiaux en transport et logistique maritime, CMA CGM, et plusieurs ports, dont Dunkerque et Lisbonne.
Car, en fait, il n’y a pas que la journée de tempête, où le port sera bien obligé d’interrompre ses activités. Il y a surtout tout l’avant et tout l’après. Une infrastructure qui bouchonne, ce sont des retards en cascade qui peuvent rapidement poser de gros problèmes de stockage. « Aujourd’hui, les différents acteurs d’un port coexistent sans vraiment travailler ensemble, explique Rochdi Merzouki, de l’Université de Lille, coordinateur du projet. L’un des objectifs de « Safari » est de leur fournir un outil d’aide à la décision pour mieux collaborer pendant ces périodes délicates. » Les autorités portuaires louent, en effet, leurs infrastructures aux opérateurs de terminaux portuaires, et à des compagnies de transport fluvial, routier et maritime. Si une route est coupée lors d’une tempête, peut-être que les marchandises pourront être transportées temporairement par voie fluviale. Mais, dans ce cas, il vaudra sans doute mieux évacuer plus de marchandises que d’habitude dans les jours précédents. D’où l’importance de gérer ensemble l’événement extrême une semaine avant (anticipation) et deux semaines après (retour à la normale).
Pour cela, le projet « Safari » prévoit le développement d’une application numérique, qui va aider tous les intervenants, depuis les autorités portuaires jusqu’aux conducteurs de barge, dockers, grutiers, etc. à prendre les bonnes décisions. Les équipes travaillent par exemple sur un casque de chantier connecté et doté de caméras, qui va détecter les situations à risque. Dans cet environnement bruyant où tout le monde se déplace en permanence, il pourra alerter un opérateur qu’un camion arrive vers lui, le prévenir que son collègue est entre deux voitures de chemin de fer, ou spécifier à un grutier de ne pas empiler trop haut des conteneurs car le vent est en train de forcir.
Pour cela, la plateforme va se baser sur l’intelligence artificielle. Elle sera branchée, bien sûr, sur des modèles météorologiques, pour produire des prédictions précises et locales concernant le port. Elle utilisera également les données des ports du projet sur les événements extrêmes, s’ils en ont. Des simulations numériques à une aussi grande échelle étant impossibles, les chercheurs reproduisent en maquette les différents éléments du port, bardés de capteurs. Un « jumeau physique » qu’ils soumettent à des vents extrêmes et des inondations miniatures, ces données venant alimenter l’IA.
Mais pour prédire avec précision les dégâts possibles aux infrastructures, encore faut-il connaître leur état d’usure. C’est ce que se propose de faire un autre volet du projet. « Avec des drones ou des caméras embarquées, nous pouvons analyser régulièrement l’état des routes – fissures… –, des canalisations, le niveau d’eau des canaux, etc. », indique Rochdi Merzouki. Par des alertes, la plateforme permettrait aux autorités portuaires de mieux planifier les réparations et entretiens réguliers. Dans l’immédiat, le projet se propose de concevoir et faire fonctionner les prototypes dans trois ports pilotes➋. À l’issue du projet en 2027, pourra commencer une nouvelle phase, l’industrialisation de la solution.
➊ Programme Horizon Europe.
➋ Dunkerque, Lisbonne et Séville – les prototypes seront ensuite testés dans deux autres ports, Livourne en Italie et Tripoli au Liban.