Un financement européen pour un projet sur le Moyen Âge
Médiéviste et spécialiste de la réception de l’Antiquité, Catherine Gaullier-Bougassas est professeure à la faculté des humanités de l’Université de Lille (département des lettres modernes) et membre de l’unité de recherches Analyses littéraires et histoire de la langue (Alithila¹). Elle vient d’obtenir un financement du Conseil européen de la recherche (ERC − Advanced Grant) pour son projet. Intitulé AGRELITA (« The reception of ancient Greece in pre-modern French literature and illustrations of manuscripts and printed books (1320-1550): how invented memories shaped the identity of European communities »), il va bénéficier d’un financement pendant cinq ans.
Pour beaucoup aujourd’hui, l’empreinte laissée par la Grèce ancienne dans la culture occidentale est considérable. Pourtant, il n’en a pas toujours été ainsi. Au début du Moyen Âge, la pratique du grec ancien s’était pratiquement perdue. Très peu étaient alors en mesure de le lire, et les textes de cette époque se faisaient extrêmement rares en Europe occidentale. C’est la Renaissance, écrit-on souvent, qui a ensuite remis l’Antiquité au goût du jour. En fait, le processus a commencé beaucoup plus tôt. « La mémoire de la Grèce ancienne a connu une résurgence dès le Moyen Âge, mais sous une forme indirecte et en partie imaginaire » explique Catherine Gaullier-Bougassas.
Une Grèce fantasmée imprègne l’imaginaire médiéval
Vers 1320 en effet, début de la période étudiée par le projet, des textes importants comme les Métamorphoses d’Ovide sont traduits du latin vers le français, leur assurant une diffusion bien plus large, qui va au-delà du public savant. C’est le début d’un regain d’intérêt pour la Grèce ancienne dans les textes écrits en langue française. Mal connue, cette dernière souffre alors d’une image plutôt négative. À l’exception de grandes figures comme Aristote, elle arrive lestée des préjugés des auteurs latins : une Grèce traîtresse, perfide, rattachée dans une même vindicte au rival byzantin.
Mais le « filtre » de la tradition latine n’est pas la seule influence. Au Moyen Âge, une grande partie des textes grecs et des savoirs sur la Grèce, arrivent par l’intermédiaire de textes arabes, eux-mêmes traduits en latin. Les influences italiennes s’exercent aussi à partir du XIVᵉ siècle, et surtout au XVᵉ siècle, avec les humanistes italiens qui traduisent de nombreux textes grecs en latin. Enfin, c’est autour de 1550, que les premières traductions directes de textes grecs en français sont publiées.
Récits historiques, romans, poèmes et illustrations des manuscrits et des imprimés
Le corpus du projet AGRELITA réunit des textes historiques, des romans et des poésies. Il compte plus d’une centaine d’œuvres, dont beaucoup ne sont pas éditées ni analysées. Elles seront étudiées avec les illustrations qu’offrent leurs manuscrits et leurs imprimés anciens . Le financement de l’ERC va permettre de recruter cinq chercheuses ou chercheurs post-doctorants, qui ne seront pas de trop pour renforcer une équipe pluridisciplinaire, avec laquelle Catherine Gaullier-Bougassas travaille depuis longtemps.
¹ (Univ. Lille)
Image : Source gallica.bnf.fr / BnF
Décrocher un financement européen
Un « ERC » : cette distinction est particulièrement appréciable dans le domaine des sciences humaines et sociales, qui compte encore peu d’ERC. « J’ai pris du temps pour comprendre en profondeur les attentes », raconte Catherine Gaullier-Bougassas. J’avais déjà eu un financement de l’Agence nationale pour la recherche (ANR), mais c’est un exercice très différent, avec un type d’écriture très spécifique. » Accompagné par un service spécialisé de l’Université de Lille (le service transversal expertise et montage de projet − Stemp), le projet a également bénéficié en 2018 d’un programme spécialement destiné à favoriser l’obtention de ces financements européens, l’« ERC Generator » de l’I-SITE ULNE. Le programme ANR « La création d'un mythe littéraire d'Alexandre dans les littératures européennes » avait été hébergé par la maison européenne des sciences de l'homme et de la société (MESHS) de 2009 à 2013, et Catherine Gaullier-Bougassas est membre honoraire de l'Institut universitaire de France (IUF).