Une cuisson express pour décarboner le béton
Il a fait le grand saut. Chercheur au laboratoire de génie civil et géoenvironnement (LGCgE), Georges Aouad s'est mis en congé de son laboratoire et de ses enseignements pour rejoindre NeoCem, une jeune entreprise innovante née au sein de Neo-Eco, une galaxie de start-ups qui font feu de tout bois en matière de recyclage et de substitution. Fondée par un ancien de l'institut Mines Télécom Nord Europe, Christophe Deboffe, elle propose un béton considérablement moins émetteur de carbone que son équivalent classique. La petite pousse s’est aujourd'hui fortement développée, construisant sa première usine dans le sud des Hauts-de-France, à Saint-Maximin dans l'Oise.
Aujourd'hui, le secteur du bâtiment représente plus de 20 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre. L'empreinte carbone d’un bâtiment provient principalement de sa construction, et notamment de la fabrication du béton. Principal responsable : la production du ciment, qui donne au béton son liant. En effet, il est produit en chauffant, à 1 450 degrés, un mélange de calcaire et d'argile pendant environ trois quarts d'heure, ce qui libère une très grande quantité de CO₂ et consomme beaucoup d'énergie. Produire une tonne de ciment, c’est relarguer pas loin du même poids de CO₂ (880 kg) dans l’atmosphère. D’où l’intérêt de la solution développée par NeoCem, qui permet de réduire ce chiffre à seulement 95 kg de CO₂.
Comment ? « Notre procédé s'inspire d’une idée déjà ancienne, celle de ne chauffer que l’argile, et à une température plus réduite, 700 degrés, explique Georges Aouad, aujourd’hui directeur R&D de NeoCem. Mais nous le faisons beaucoup plus vite, en une fraction de seconde, ce qu'on appelle la flash-calcination. » Cette technique a été fortement explorée et développée depuis 2016 au LGCgE, dont les équipes travaillaient notamment sur la réutilisation de sédiments dans la construction de bâtiments : il s’agissait des déblais considérables générés par les creusements de la société du Grand Paris pour les 200 kilomètres de son métro, qui avait conclu un contrat avec le laboratoire et Neo-Eco. La difficulté est que, de tels sédiments, sont généralement contaminés de diverses manières, qu'il s'agisse de matière organique, de métaux lourds, etc., ce qui peut altérer les propriétés du béton. « La flash-calcination non seulement permet de décontaminer ces sédiments mais également de les activer, leur conférant les propriétés nécessaires à l'obtention du ciment », précise Georges Aouad.
Depuis, les choses se sont accélérées. En 2023, un financement de France 2030 les aide à réaliser une très importante levée de fonds d'une vingtaine de millions d'euros. Désormais, leur première usine se construit, qui va pouvoir produire 100 000 tonnes d'argile calcinée tous les ans à partir du deuxième trimestre 2025. Le lieu d'implantation n'a pas été choisi au hasard : il dispose d'un accès privé au canal Seine-Nord Europe, un moyen d’éviter les émissions du transport routier. Y arriveront une grande partie des déblais du Grand Paris, mais aussi… ceux du creusement du canal, qui vont être aussi réutilisés ! En attendant la seconde usine, prévue pour 2027. ■