Entre le noyau et le manteau de la Terre
C’est le moteur de la tectonique des plaques, qui crée séismes, montagnes et volcanisme. Le manteau terrestre, sorte d’immense tapis roulant qui monte et descend extrêmement lentement − quelques centimètres par an −, forme la majeure partie de la Terre (83 % de son volume). En haut, il est borné par la lithosphère, qui contient la croûte terrestre, et en bas, par une couche qui est à la limite entre le noyau et le manteau.
Cette couche, située entre 2700 et 2900 kilomètres de profondeur est fondamentale pour comprendre les mouvements du manteau, qui « frotte » en quelque sorte à cet endroit. Le problème, c’est qu’on la connaît mal. Quand les sismologues analysent des vibrations (des ondes sismiques) pour sonder l’intérieur de la Terre, celles-ci se comportent bizarrement : tantôt elles traversent la couche, tantôt elles ricochent sur elle. Mais en 2004, les chercheurs ont commencé à comprendre pourquoi : le principal composant du manteau, la bridgmanite, s’y transforme en une autre espèce chimique.
Dans cette couche, le principal composant du manteau se transforme
Connue depuis soixante ans, la bridgmanite est le minéral le plus abondant sur Terre. Mais étrangement, elle a attendu 2014 pour recevoir un nom. Il faut dire qu’elle est largement inaccessible aux êtres humains, n’apparaissant qu’à partir d’environ 660 kilomètres de profondeur. C’est pourquoi elle n’a été observée qu’il y a dix ans dans un matériau… extraterrestre, les débris d’une météorite australienne. Seule la violence des impacts subis par cette dernière durant sa longue vie dans l’espace, 4,5 milliards d’années, avait permis d’atteindre la pression et la température colossales nécessaires à la formation de ce minéral.
Quand la bridgmanite s’enfonce dans les entrailles de la Terre et atteint la frontière noyau-manteau, elle rencontre des conditions encore plus extrêmes. C’est pourquoi elle se transforme en une autre espèce chimique, la post-pérovskite. Selon certains chercheurs, cette transformation pouvait peut-être expliquer les bizarreries révélées par les ondes sismiques au niveau de la fameuse couche. Certaines fois, estimaient-ils en effet, ces dernières devaient rencontrer des zones riches en bridgmanite, et d’autres fois des zones contenant de la post-pérovskite.
Mais les expériences et calculs d’autres collègues, américains, ont alors suggéré un tout autre scénario : selon leurs résultats, la transition entre les deux minéraux devait être très progressive, s’étalant sur environ 500 kilomètres de profondeur. Ce qui ne faisait pas les affaires des chercheurs, car d’après les ondes sismiques, l’épaisseur de la couche n’était au contraire que de 200 kilomètres. Pour tenter de réconcilier les hypothèses, il était nécessaire de comprendre plus en détail comment se faisait la transformation, et en particulier avec quelle vitesse. Ce qui pouvait avoir d’importantes répercussions, menant alors à revoir le déplacement du manteau dans cette zone.
Des mini-enclumes en diamant
C’est ce que l’équipe de l’unité Matériaux et transformations (UMET¹) a décidé de vérifier. Afin de parvenir à fabriquer de la bridgmanite en laboratoire, ils ont d’abord utilisé des mini-enclumes en diamant pour comprimer une substance chimique, tout en la chauffant avec un laser. Une fois la bridgmanite obtenue, ils ont encore augmenté la pression pour atteindre celle qui règne dans la couche à la limite manteau-noyau, soit près d’1,3 million de fois celle présente à notre surface. Ils avaient placé leur expérience à proximité d’un accélérateur délivrant des rayons X, en Allemagne. Ce dispositif permettait de suivre pas à pas la transformation de la bridgmanite.
Résultat : la transformation est suffisamment rapide pour n’avoir aucun effet sur l’épaisseur de la couche. En revanche, la transformation se fait sur une durée proche de celle de la vibration de ces minéraux quand une onde sismique les traverse. D’où les bizarreries observées quand les sismologues les utilisaient pour sonder la couche. Mieux comprendre ces phénomènes va permettre de mesurer précisément l’épaisseur de cette dernière et en particulier de délimiter où coexistent bridgmanite et post-pérovskite.
Coupe schématique de l'intérieur de la Terre
Une collaboration internationale
Conçue par l’équipe de l’UMET, l’expérience et son analyse ont été menées en collaboration avec des membres du laboratoire Magmas et volcans (LMV²), de la source synchrotron PETRA III à Hambourg, et du laboratoire de géologie de Lyon - Terre, Planètes, Environnement, (LGL-TPE³), ainsi que de l’université de Münster, en Allemagne.
¹ Univ. Lille/CNRS
² Univ. Clermont-Auvergne/CNRS/OPGC/IRD
³ Univ. Lyon/CNRS/ENS Lyon