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Le fer poussé à l’extrême

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Une expérience menée par un laboratoire de l’université a étudié comment réagissait ce métal confronté brièvement à des températures et pressions extrêmes.

paru le 10/11/2021 - Mise à jour le 30/05/2022 (10:56)

Une carrosserie qui s’écrase lors d’un accident : savoir ce qui se passe dans le métal, au niveau des atomes − comment il se déforme tout en gardant sa nature métallique − est presque une routine pour les spécialistes des matériaux. Mais que se passe-t-il quand le choc est beaucoup plus violent, comme par exemple lorsqu’une sonde spatiale revient sur Terre, et comprime si fort l’air devant elle, que les températures à l’avant de son fuselage atteignent des milliers de degrés ? Ou pire, quand les noyaux métalliques de deux planètes entrent en collision ?

Impossible bien sûr d’aller faire des mesures sur place. Pour savoir ce qui s’y passe, habituellement, il faut mettre en branle de coûteuses simulations qui durent parfois plusieurs années. « Ces simulations sont coûteuses et complexes parce qu’elles requièrent des compétences variées, car les calculs font intervenir des échelles et donc des domaines de la physique différents, explique Sébastien Merkel. Peu d’équipes, à part dans les gros laboratoires nationaux, maîtrisent toute cette chaîne. »

Une expérience inédite

C’est pourquoi la publication des recherches coordonnées par Sébastien Merkel de l’unité Matériaux et transformations (Umet¹), dans la grande revue de physique, Physical Review Letters, est une première. Plus de simulation, mais une véritable expérience : l’équipe a réussi à reproduire et observer en laboratoire, l’espace d’un instant, ce qui arrive au fer dans des conditions aussi extrêmes. La fenêtre temporelle est minuscule, mais ô combien précieuse : dix petits milliardièmes de secondes, un éclair fugitif qui nous fait néanmoins pénétrer dans un monde inconnu. Un monde où le fer atteint un état inédit d’une solidité extrême.

En effet, comme de nombreux matériaux à l’état solide, le fer est un cristal, c’est-à-dire qu’il est constitué d’un arrangement régulier et géométrique d’atomes. Aux températures et pressions habituelles à la surface de la Terre, cet arrangement est fait de cubes alignés dans les trois directions de l’espace, dont les atomes de fer forment le centre et les sommets. Dans les conditions extrêmes de l’expérience, en revanche, il n’y a plus assez d’espace : les atomes de fer s’arrangent en prismes hexagonaux. Cela, c’était prévu et a été bien observé par l’expérience. Ce qui l’était moins, en revanche, c’est comment allait faire le fer par la suite, pour réagir à la déformation qui progressait dans l’échantillon.

Les résultats de l’équipe ont montré qu’il se produisait un phénomène de basculement des cristaux,  bien connu des minéralogistes parce que ses conséquences peuvent parfois s’observer à l’œil nu, formant d’étonnants cristaux imbriqués appelées macles (twining en anglais). En l’occurrence, pour le fer, les tensions très fortes qu’il subit l’amènent à adopter une nouvelle configuration : les prismes hexagonaux tournent de 90 degrés les uns par rapport aux autres, et s’interpénètrent, formant un matériau très solide. L’apport très important de l’équipe est justement d’avoir pu mesurer les conditions et le temps nécessaires à l’activation de ce mécanisme, un petit milliardième de seconde.


Comment l’équipe a-t-elle réussi à obtenir des conditions aussi extrêmes ?

Avec des lasers. Pour réussir l’expérience, l’équipe a dû dompter deux de ces instruments. Elle a utilisé d’abord un premier laser pour générer une onde de choc dans l’échantillon de fer, lui faisant atteindre plus de 4000 degrés et près de deux millions de fois la pression atmosphérique, pendant dix milliardièmes de secondes. Ensuite, elle a pu suivre ce qui s’y déroule en temps réel, avec un second laser, à rayons X cette fois.

Plus la source de rayons X est brillante, mieux on voit et on perçoit de détails. Plus les rayons sont rapides, mieux on arrive à suivre précisément ce qui s’y passe. Pour parvenir à prendre des « instantanés » successifs des déformations ultra-rapides au niveau des atomes, l’équipe s’est rendue en Californie, au SLAC National Accelerator Laboratory qui était alors le seul à disposer de rayons X suffisamment brillants et rapides.

« Désormais, un nouveau laser européen à rayons X a ouvert à Hambourg, une installation d’ampleur qui a nécessité 1,2 milliards d’€ d’investissement public, explique Sébastien Merkel. Un nouvel instrument vient aussi d’y être installé qui permettra d’atteindre des températures et pressions encore plus extrêmes, et des mesures plus précises. Dans le cadre d’un gros consortium international, nous allons être parmi les premiers utilisateurs de cette installation², en mai 2022. Nous pourrons ainsi étudier les propriétés de la matière dans des conditions rarement explorées. »

¹ (Univ. Lille / CNRS / Inrae / ENSCL)

² L’installation couple un laser optique pour générer les conditions extrêmes, et un laser à rayons X pour mesurer ce qui s’y passe.

  • Image de une, image de l’expérience : SLAC