Faire face aux crises démocratiques

L’Université de Lille est la cheffe de file d’un vaste projet national, DemoCIS➊, qui va ausculter la crise de la démocratie pendant 7 ans, pour mieux en proposer des pistes de renouveau. Éclairage avec son coordinateur scientifique, Julien Talpin.

paru le 25/06/2025 - Mise à jour le 30/06/2025 (11:31)

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Hausse de l’abstention, volatilité des électeurs, défiance vis-à-vis des institutions, difficultés à répondre aux crises majeures (climat, pandémie…) : la démocratie est-elle en crise ?

Julien Talpin : Oui, le consensus scientifique est clair, mais il reste à en poser un diagnostic précis : notre projet vise à mieux qualifier le moment démocratique que nous vivons, et à mettre en lumière ses origines. Nous voulons évaluer notamment dans quelle mesure les élites sont tentées par une certaine sécession démocratique (Trump etc.) mais aussi à quel point les aspirations démocratiques des citoyens s’effritent − un aspect que nous allons suivre dans le temps, à travers un panel représentatif qui constituera un baromètre de la démocratie. L’objectif est aussi de nourrir et équiper les actions des décideurs, grâce aux résultats du projet.

Comment réduire le fossé qui se creuse entre citoyens et pouvoir ?

Nous souhaitons analyser les causes de cette perte de confiance, mais aussi en caractériser toute la diversité. Cela passe bien sûr par la sociologie du vote, mais pas seulement, car beaucoup de citoyens croient de moins en moins à ses vertus. C’est pourquoi nous nous pencherons aussi sur les différentes formes d’innovations démocratiques (conseils participatifs, droit d’interpellation…)

Comment faire participer celles et ceux qui se sentent exclus ?

La démocratie va au-delà des institutions. Chacun de nous a son propre rapport au vivre ensemble, et ses façons de s’impliquer ou non dans la société. Notre hypothèse est que la vulnérabilité de la démocratie vient d’abord du fait qu’on ne prend pas en compte cette citoyenneté du quotidien. C’est pourquoi nous allons l’analyser : comment elle s’auto-organise en dehors des institutions, ce qui la nourrit, quelles attentes elle porte, etc. Nous nous intéresserons tout particulièrement aux populations les plus exclues, leur relation quotidienne avec les services publics, leurs formes d’expression parfois violentes (émeutes, etc.)

Comment agir contre la polarisation des débats et la désinformation ?

D’abord en analysant l’écosystème de la désinformation, notamment en cartographiant ses réseaux, et en mettant au point des indicateurs pour l’évaluer. Nous allons aussi étudier les différentes contre-mesures légales, les pratiques professionnelles des producteurs d’information, et enfin quelle place donner aux mesures éducatives. En gardant à l’esprit que le numérique n’est pas qu’un risque, mais renferme aussi des façons de renouveler la démocratie.

Terrorisme, radicalisation, cyberharcèlement, idéologies complotistes… : la démocratie fait face à de nombreuses menaces. Comment y répond-elle ?

Malheureusement, souvent par des restrictions des libertés publiques (état d’urgence, réduction des libertés associatives, ou de manifester…), qui la fragilisent en retour et sont source d’inégalités, de conflits avec les autorités, la police, etc. Nous allons à la fois analyser ces menaces, l’effet de ces restrictions mais aussi des solutions pour maintenir un État de droit.

Comment le projet va-t-il recueillir l’avis des citoyens ?

Notamment en organisant quatre conventions citoyennes, sur différents thèmes➋. Elles réuniront des assemblées de citoyens tirés au sort, qui seront informés des connaissances scientifiques les plus récentes. L’expérience passée montre que ces conventions suscitent beaucoup d’attentes, mais peinent parfois à impacter significativement les politiques publiques. C’est pourquoi nous souhaitons qu’elles débouchent sur des expérimentations locales, sans attendre qu’elles suscitent des réformes législatives globales. ■

 

➊ Lancé officiellement le 3 juillet 2025, le projet va réunir plus de 300 chercheurs, quatre universités et trois instituts d’études politiques.

➋  sur la réforme institutionnelle et l’innovation démocratique, sur les relations police-population, sur la dématérialisation et l’accès au droit et aux services publics et enfin sur la (dés)information et la liberté d’expression.