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Identifier les ossements découverts

Développement territorial Attractivité du territoire

Un laboratoire de l’université travaille avec policiers et archéologues pour mieux prendre en charge les ossements découverts dans la région.

paru le 26/04/2022 - Mise à jour le 29/04/2022 (12:32)

C’est une question souvent pressante, posée chaque semaine ou presque par la justice à l’unité de taphonomie médico-légale et d’anatomie (UTMLA¹) : ces nouveaux ossements recueillis par la police lors d’une découverte fortuite, ou de travaux d’aménagement, sont-ils humains ? Et de quand datent-ils ? Car au-delà de vingt ans, il y a prescription et la justice n’a plus à s’y intéresser. Pour mieux lui répondre, le laboratoire a lancé un nouveau projet, financé par la région Hauts-de-France² et associant plusieurs partenaires (voir plus bas).

« Le problème est que nous avons souvent du mal à nous prononcer, faute d’informations, explique Valéry Hédouin, directeur de l’UTMLA. Le plus souvent, nous découvrons une affaire judiciaire en recevant des scellés sans aucun élément de contexte. » Lesquels, comme la position des restes et les conditions précises où ils ont été trouvés, délivreraient des indices extrêmement précieux pour l’enquête et les expertises. Le laboratoire est spécialisé dans les processus de dégradation des cadavres. Lorsque ces derniers sont à l’état de squelettes, l’estimation de la datation du décès est en général trop imprécise pour rendre un verdict aussi limpide que le voudrait la justice.

Accompagner les policiers

Car dans les faits, on est souvent loin du portrait flatteur brossé par les séries télévisées sur la prise en compte experte des scènes de crime. « La réalité du terrain, raconte Valéry Hédouin, ce sont des policiers du quotidien qui ont peu de temps, et ne sont pas formés à la prise en charge de restes humains, situation à laquelle ils sont finalement rarement confrontés au cours de leur carrière ». Ils n’ont le plus souvent personne vers qui se tourner pour savoir comment procéder. « En archéologie comme en anthropologie médico-légale, renchérit Benoît Bertrand, anthropologue médico-légal à l’UTMLA, coordonnateur du projet, la manipulation des squelettes suit des techniques rigoureuses afin de préserver un maximum d’informations. Parfois, nous voyons bien qu’il n’en est rien, avec des traces d’utilisation de pelles ou de pioches par exemple. » Avec le risque de détruire des indices primordiaux pour les experts.

C’est pourquoi l’un des premiers aspects du projet prévoit de transmettre à tous les policiers une fiche récapitulant les informations absolument nécessaires à l’analyse de restes, une liste d’experts à contacter et des recommandations sur la marche à suivre. « L’objectif est de trouver une procédure efficace, qui ne retarde pas l’action de la police et de la justice » précise Valéry Hédouin. Le projet a donc été conçu tout particulièrement avec l’un de ses partenaires majeurs, le Procureur Général de la Cour d’Appel de Douai. Son appui va permettre de coordonner cette prise en charge sur les départements du Nord et du Pas-de-Calais. Le laboratoire compte également proposer aux policiers des modules de formation. Enfin, l’acquisition d’un scanner Lidar, permettant de donner un instantané en 3D du lieu de la découverte, est également programmée.

Échanger les données avec les archéologues

Le projet implique également d’autres partenaires, les archéologues. Aujourd’hui, les procédures à suivre pour les découvertes archéologiques et médico-légales sont totalement disjointes, alors même que le sous-sol des Hauts-de-France renferme un riche passé historique. « Il y a peu, des ossements placés sous scellé reçus par notre laboratoire se sont révélés avoir en fait 6000 ans ! » relate Valéry Hédouin. D’où l’idée, pour mieux aiguiller l’identification des ossements, « de croiser la cartographie des découvertes archéologiques de la région avec celle, encore à construire, relevant du médico-légal » indique Benoît Bertrand. Avec à la clé, des possibles découvertes de nouveaux sites archéologiques.

La convention est donc logiquement établie avec le service régional de l’archéologie de la direction régionale des affaires culturelles des Hauts-de-France, avec un opérateur d’archéologie préventive (Archeopole) ainsi que la Commonwealth War Graves Commission, l’autorité chargée de la récupération des corps de soldats relevant du Commonwealth , dont les découvertes sont extrêmement fréquentes dans la région.

À terme, l’idée serait de systématiser les levées de squelettes selon des règles strictes, une fois trouvé le bon protocole. « Nationalement, il y a une demande, pointe Benoît Bertrand, parce que les collaborations entre légistes et archéologues émergent mais sont toujours ponctuelles et souvent éphémères. Il y a un vrai besoin de structuration. » Soutien du projet, les Hauts-de-France seront donc pilote.

Développer les techniques de datation

Le projet va également évaluer plusieurs techniques de datation, certaines d’ores et déjà utilisées et pour lesquelles il manque encore de données scientifiques. Et au passage, lutter contre des idées reçues, qui écartent la datation au carbone 14 pour les expertises médico-légales alors que bien appliquée, elle peut se révéler suffisamment précise pour les décennies les plus récentes − selon l’hypothèse que le laboratoire va évaluer.

¹ (Univ. Lille)
² À travers le dispositif Stimule